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Rodrigue Bélanger / LES TAS











À longer les murs, j'ai l'impression qu'ils y sont tous : tas de ferraille, de neige, de guénilles, de sable, d'ennuis et de débris... Pourtant règne, en surplomb de toutes ces photographies de matières innommables et interdites, une conception de la représentation qui me fait dire : qu'on le veuille ou non, Les Tas de Rodrique Bélanger laissent bouche bée !

D'entrée de jeu, un titre d'expo, Les Tas : le mot a beau être usé, banal, bancal, sa vocation demeure foutrement (!) scatologique. Et à trop y penser, on tombe dans le panneau... En nommant ainsi son corpus d'images, admettons que Bélanger fait belle la diversion, de sorte qu'il nous voile pour un temps le fait qu'il puise à un courant de la photographie « topographique » incarné — à une autre époque— par les Metzker, Baltz, Becher, Cohen et Struth. Le pari avait donc ses exigences historiques, et Rodrigue Bélanger, on peut le dire, s'en tire avec du mérite...

À la vue de chaque photographie, on constate que le tout résulte d'une opération très méthodique : cadrages uniformes, vues frontales et répétitives, architectures symétriques, facteurs d'échelle régulés. La matière représentée est à l'état, disons-le, « pratico-inerte » : pas de vie, pas de coeur, pas de sens. Du vide et de l'objectivité à l'état pur — comme le sont en général les façades de duplex — mais avec en retour beaucoup, beaucoup de cynisme.

Faites le compte, les tas sont nombreux et pléthoriques comme de la pacotille industrielle : sans valeur d'usage, éphémères et photoshoppés, ils sont pareils à des portraits d'inconnus sortis d'une boite en fer, pareils à mille et un insectes cloutés sur planche d'entomologue... Du grotesque plutôt rare et combien admirable !

En parlant comme Jacques Lacan, on pourrait dire que « le tout des Tas » de Rodrigue Bélanger se révèle être une entreprise artistique sans scrupule, gravement conceptuelle, faussement documentaire et singulièrement actuelle. Tout cela, à la fois. Non pas qu'il s'agisse d'un éloge du vide en photographie, mais de l'annonce qu'une certaine conception de représenter le monde est désormais périmée.

Exposition présentée à Québec, au centre VU, en avril 2010.


Article publié le 20 avril 2010

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