Doyon-Demers / PLAN B
Il arrive parfois que l'oeuvre d'art soit fermée comme on le dit d'une crypte, sans ouverture ni horizon, retenant à l'intérieur ses clefs, ses codes et ses émanations. Puis il arrive d'autres fois que l'oeuvre d'art soit un gisement d'évocations et de sens, tout aussi limpide que nébuleux, et dont on ne pourra contenir, jamais, ni le flot, ni le flux, ni le débit. Ça prolifère, ça exagère, ça exulte dans mille directions... Ça parle sans demander, comme du désir...
C'est la grande qualité —et tout l'essentiel je dirais— de l'installation intitulée PLAN B des artistes Doyon/Demers : pléthorique d'allusions politiques, évocatrice d'expériences limites et génératrice tout autant de signes vitaux que de mort à Venise.
Ça évoque, évidemment, à la mesure de cette chose nommée « container » : multiple du même et du pareil, symbole formidable du transit universel, royaume du confinement, tombeau sans issue des sans-papiers, maison sans lumière des banlieues roumaines sous Nicolae Ceausescu. Planté dans la ville, le container donne froid dans le dos. Lui donner un seuil de porte à franchir donne la nausée. Qu'importe, la chose est là, devant, tout en haut, comment résister ?
À vaciller sur le trampoline, on se convainc que le plan A visait sans doute à l'ensevelir ce container assorti d'une échelle, et en grande pompe s'il-vous-plaît, comme l'ont fait dans le passé pour d'autres œuvres les Doyon/Demers indisciplinés... Mais l'exécution du PLAN B a fait en sorte, et heureusement, qu'on s'y retrouve à l' intérieur, sur le pont, pour y sentir du vertige instantané, et du sublime à haute teneur, provoqués par cette image plénière de soi qui n'arrive pas, jamais, à émerger, à se produire, à naître dans le concassé des glaces.
Éloge du néant aux abords du grand fleuve ? Assurément. Chose rare par les temps qui courent, le PLAN B des Doyon/Demers nous aura fait l'honneur d'un beau passage « avide », autrement dit, d'un transit merveilleux comme seules en sont capables les machines célibataires.
Installation in situ présentée sur le quai Boisseau à Québec, en mai et juin 2010 dans le cadre de la Manif d'art 5.
Article publié le 30 juin 2010