Paryse Martin / HISTOIRES LACRYMOGÈNES
Voilà. J’y suis. Paryse... J’ai lu qu’elle était née à Caribou, un village du Maine situé à vingt kilomètres du Nouveau-Brunswick. J’ai déplié des cartes, feuilleté des dictionnaires, traversé à la va-vite des dépliants touristiques... J’y ai cru, que cela allait mener quelque part... Non, Caribou n’allait pas m’expliquer les légendes «lacrymales» de Paryse... Oui, j’allais plutôt voir et revoir à maintes reprises ses œuvres disposées sans décors ni tentures, sur le sol, dans les airs, sur des axes, dans la galerie de l’Œil aux murs tout blanc, faire ça pour en saisir les échos, la portée, l’intriguant manège...
À faire le tour, une seule idée, brutale, à peine voilée, vous monte à la tête : Paryse s'amuse ! On peut le dire et le redire à la suite de l'historien Claude-Maurice Gagnon qui en faisait le titre d'un article sur des travaux de Paryse Martin en 1993. Vingt ans plus tard, Paryse Martin garde le cap et récidive d'entrain «burlesque» avec cette collection d'œuvres splendides qui combinent des évocations terribles qui vont de la gaieté lyrique aux royaumes de la peur.
Bien sûr qu’à première vue les Histoires lacrymogènes font sourire de bon cœur avec ses chevaux cul par-dessus tête, ses attelages de macramé, ses guirlandes de matières plastiques, ses têtes de turcs en styromousse. Et devant cet étalage de dérision —et le vent Fluxus qui n’est pas loin— difficile de ne pas glousser de satisfaction, de ne pas ouvrir grand nos yeux en appétit !
Mais cela fera un temps... Sachez que le doute va s’installer lentement, faire son œuvre entre les oreilles du spectateur sans qu’un seul mot soit prononcé, ni aucun hymne entonné. Oeil pour oeil, dent pour dent, et Klomp ! La fantaisie côtoie la frayeur. Pareil manège, que l’on destine d’habitude aux contes pour enfant, est ici, tout là, prêt à nous démonter : des glaces patinées, des planètes palimpsestes, des horizons de papier ondulés, des bêtes aux ongles mielleux, des têtes qui roulent, des voltigeurs équestres et des lobes de poulpe exorbités dans une gangue... démonisée.
Paryse s’amuse à la dure, emmaillotant le réel dans des habits de plomb. Le manège vole en éclat de lumière. Les fers sont en l’air. Le bestiaire veille au grain, sournois et héroïque comme ce chien de faïence, sentinelle des enfers... Si le défi est ardue, l’accomplissement demeure quant à lui inaltérable, tels L’Histoire de l’Oie, le destin des femmes de Barbe Bleu, de l'enfant du Roi des Aulnes : « Père, père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes avec sa traîne et sa couronne ? Non, mon fils, non, c'est un banc de brouillard... Père, père, n'entends-tu pas ce que le Roi des Aulnes me promet à voix basse ? Sois calme, reste calme, mon enfant ! C'est le vent qui murmure dans les feuilles mortes...»
Tout cela plus énigmatique que les larmes, Paryse Martin le conçoit comme un défi à la mort qui sommeille dans ses travaux depuis toujours ; la mort, cette chose absurde qui évoque chez elle la «blessure immense» que seules la passion et l’amour de la vie —et sans doute les formes enjouées de l’art— pourront guérir. Il nous restera, à la suite de ces contes effrayants et merveilleux, le désir de chevaucher avec Paryse vers cette lumière qui brille quelque part dans les forêts de Caribou.
HISTOIRES LACRYMOGÈNES, une exposition présentée du 6 septembre au 6 octobre 2013 dans la grande galerie de L'Œil de Poisson. Photo, courtoisie d'Yvan Binet / Œil de Poisson ©
Article publié le 2 octobre 2013